LA CHAPELLE SAN GHJUVANNI DU PONT D'ALTIANI.

 

 

 

 

CLASSEE AUX MONUMENTS HISTORIQUES

 TITRE: CHAPELLE SAINT-JEAN

 LOCALISATION: ALTIANI – HAUTE-CORSE

  ADRESSE: PRES DU PONT GENOIS

  DENOMINATION: CHAPELLE

  CONSTRUCTION: Xème-XIème SIECLES

  PROPRIETAIRE: LA COMMUNE

  DATE PROTECTION MH: ARRETE DU 14/01/1977

  CADASTRE : B. 411

  INTERET DE L'OEUVRE: DESAFFECTEE

  TYPE D'ETUDE: RECENSEMENT IMMEUBLES MH

  REFERENCE: PA00099153

 

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 Le pont d'Altiani avec la chapelle San Ghjuvanni ( à droite )

 

C'est sur le territoire de la commune d'Altiani que se trouve le petit complexe monumental qui comprend l'église, le pont et une maison ( ancienne bergerie) de petites dimensions: cet ensemble est situé le long du Tavignani, à l'embranchement pour Altiani et le canton de Piedicorti, sur la Nationale 200, entre Aleria et Corti.

 

 

 cadastre d'Altiani

 

En ce qui concerne l'identification de la chiesa matrice de la pieve de Rogna ( l'une des plus étendues de Corse), il faut penser à une autre église, vraisemblablement de dimensions plus importantes, qui se trouve au lieu-dit « Pieve », à quelques centaines de mètres de San Ghjuvanni. 

C'est uniquement cette dernière qui est prise en considération ici. Seule l'une des phases de l'abside s'en conserve encore, alors que différents remaniements du corps de l'édifice ont eu lieu jusqu'au moment de sa transformation en habitation, aujourd'hui désaffectée.

 La seule enquête archéologique effectuée jusqu'ici, sur le site de San Ghjuvanni, est la fouille que j'y ai conduite en 1974. Il s'agissait d'un sondage rapide, dans l'attente de la restauration de l'église de la part des « Monuments Historiques » (opération encore en suspens!): les résultats partiels obtenus ne permettent pas d'affirmer de façon certaine que la première occupation stable du site n'ai eu lieu qu'au moment de la construction de l'église. Il est très probable que la voie de communication d'époque romaine, puis médiévale, entre Aleria et Venicium (au sud de l'actuel Corti), passait en cet endroit, mais qu'elle traversait très probablement le Tavignani plus au Nord, après avoir longé la « Pieve », dont il est question plus haut.

 En ce qui concerne les sources manuscrites, on a le silence, quasiment habituel, qui caractérise le moyen-âge corse, au sujet des monuments; il faut attendre, comme dans la plupart des autres cas, la visite apostolique de Monseigneur Mascardi, en 1589, pour avoir les premières indications relatives à la pieve de Rogna: l'église, qui a le titre de « Pieve », se trouve à deux milles de tout centre habité; elle est abandonnée et la messe n'y est célébrée que deux fois l'an; l'édifice, en question, sert désormais de refuge, la nuit, aux bergers et aux voyageurs qui y allument du feu, ce qui a noirci toutes les poutres. On verra, plus loin, pour quelle raison il faut penser que ce document doit être appliqué à la « Pieve » voisine, et non pas à San Ghjuvanni.

 

 

La première mention de cet édifice, ailleurs que dans le cadre de guides touristiques, se trouve dans les volumes de Madame Morrachini-Mazel sur les églises romanes de Corse. Il s'agit d'une description sommaire, dans laquelle l'auteur propose de le dater du début du Xème siècle, à partir seulement de l'analyse de la technique de construction. Selon moi, celle-ci ne peut être un critère de datation, surtout lorsqu'il est le seul invoqué, dans un pays comme le nôtre, où les constructions de pierre ont des caractères souvent semblables, depuis la protohistoire jusqu'à l'époque contemporaine, et surtout depuis l'ère romaine avec l'utilisation quasiment généralisée de la chaux, en particulier pour les édifices religieux. L'ex-ception des églises « strictement pisanes » confirme la règle, comme nous le voyons pour Sari d'Urcinu. 

Les dimensions de l'édifice, orienté à l'est, sont particulièrement réduites. La simplicité archi tecturale et planimétrique de ce monument est celle de la quasi-totalité des églises médiévales corses: elle correspond à un schéma fixe reproduit des dizaines de fois, avec très peu de variantes, en l'espace de quelques siècles. Une très grande obscurité régnait dans ces édifices: à San Ghjuvanni, la lumière pénétrait par deux portes étroites et trois fenêtres ( de vraies meurtrières), à double ébrasure, qui ne laissaient filtrer qu'une lumière très faible. L'une de ces fenêtres se trouve à hauteur d'homme, au centre de la courbe de l'abside; les deux autres, dans la partie haute des murs latéraux. A l'intérieur comme à l'extérieur, les fenêtres sont composées de deux piédroits monolithiques de dimensions différentes, ce qui entraîne l'insertion d'une petite pierre de calage, et elles sont surmontées d'un petit arc monolithique.

 

 

                               

Archivolte fenêtre mur nord.                                                                Façade nord-ouest.                                                                          Façade sud-est.

 

 

 

                                                                                                                 Façade ouest.                                                                                     Façade est.

Archivolte fenêtre mur sud.                                                                       

 

Les deux portes d'accès au monument sont étroites, et les deux piédroits de chacune sont de dimensions légèrement différentes, ce qui nécessite ici aussi l'utilisation de pierres de calage pour la pose de l'architrave: les seuils sont peu épais, mal dégrossis et bien trop petits par rapport aux piédroits qu'ils soutiennent. Sur le grand bloc monolithique situé immédiatement au-dessus de l'architrave de la porte latérale sud ( sur la paroi du monument qui était le plus en vue), a été gravée une inscription qu'il est encore possible de lire entièrement:

 M(astro) ALLISANDRO FECET AS...1600.

 Toujours sur ce même mur se trouvent de nombreuses autres inscriptions (essentiellement des dates), parmi lesquelles la plus importante parle d'une restauration survenue en 1720.

 

 

 

 

  La pierre utilisée pour la construction, un schiste, n'a pas une composition parfaitement homogène, et certains blocs sont rongés irrégulièrement par les agents atmosphériques. On a utilisé pour cette construction deux types de pierres taillées très différentes: d'une part, des dalles taillées de façon parfaite, de grande dimension, bien plus longues que larges et, d'autre part, des pierres de petite dimension, très mal dégrossies. Il apparaît évident, après toutes ces observations, que l'église a été construite à l'aide d'éléménts réemployés insuffisants.

  Cela apparaît particulièrement pour le mur sud où les grandes dalles ne sont utilisées que dans la partie centrale: trois assises très régulières et une quatrième ( en partant du bas) constituée de pierres de trois dimensions différentes. Dans la partie haute, ces pierres ne sont plus utiliées que dans les angles. Ces irrégularités sont très évidentes au niveau de façade où les seules assises régulières (trois seulement) se trouvent au sud de la porte, alors que le reste du mur est constitué de dalles bien taillées, calées au mieux par les pierres mal dégrossies, de petite dimension. Il est impensable que ces irrégularités puissent être dues à une restauration plus ou moins radicale, car il faudrait penser alors à une reprise en sous-oeuvre de la plupart des murs du monument, ce qui est impossible.

A l'intérieur, la construction est encore plus irrégulière, car les blocs bien taillés sont disposés sans un ordre précis, en alternance avec les pierres mal dégrossies. La seule partie de l'édifice, qui présente un travail très soigné et régulier de lapierre, est l'arc absidal dont l'extrados et l'intrados sont fortement asymétriques.

 Même si la fouille n'a duré que quelques jours, les résultats obtenus n'en sont pas moins intéressants. Les petits sondages effectués ont mis en évidence une seule couche d'occupation, bouleversée à cause du ravinement des eaux, car le terrain est légèrement en pente.

A l'intérieur, cette couche contenait des restes de sépultures, en pleine terre ou sous « teghje », totalement détruites, et des tessons de céramique moderne. Les sondages, pratiqués en différents endroits, permettent d'établir, de façon assez sûre, que l'église ne fût précédée par aucune construction, du moins de dimensions semblables, confirmant ainsi les données de la statigraphie.

 La fouille partielle de l'intérieur de l'édifice a permis de mettre en évidence certaines structures. On a pu retrouver ainsi une partie du banc de pierre qui s'appuyait contre les murs, ainsi qu'une partie du pavement constitué de dalles de schiste très épaisses, taillées irrégulièrement, mais assez bien assemblées. Dans l'autel, assez décentré vers l'ouest par rapport à l'abside, il ne reste que deux dalles de fondation. Mais pour le moment, le résultat le plus important de cette fouille est, sans aucun doute, la découverte de la fermeture de l'arca, devant l'autel, le dernier jour de la fouille, ce qui a empêché d'en définir l'importance réelle. Je crois qu'il est inutile de faire ici une description de l'arca, la sépulture communau taire anonyme, encore utilisée dans nos villages jusqu'au début du siècle par les plus pauvres, alors que les riches pouvaient se permettre des sépultures individuelles. Il y en avait quelques unes, même à San Ghjuvanni, comme en témoignent les sépultures bouleversées retrouvées à l'extérieur de l'église, ainsi que toutes les dates gravées sur le mur sud, depuis l'an 1600 jusqu'à l'an 1789.

 

 

La fouille et l'étude de ce monument ont soulevé une infinité de problèmes nouveaux, liés aussi bien à ce cas précis qu'à celui du système pievan en Corse et de son évolution durant le moyen-âge et l'époque moderne. L'hypothèse de Madame Morrachini-Mazel, à ce propos, amenait à une solution de problèmes qui ne manquait pas de logique: la première « Pieve », du VIe-VIIe siècle, aurait été abandonnée dans le courant du Xe siècle et immédiatement remplacée, à quelques centaines de mètres de là, par l'église actuelle de San Ghjuvanni, pour des raisons qu'elle ne précise pas. L'étude de tous les éléments architecturaux encore en place et les données de la fouille ne permettent pas d'apporter des affirmations aussi catégoriques, mais nous amènent à formuler des hypothèses tout à fait différentes.

 Avant tout, le problème de la pieve et de son évolution historique. Tout reste à faire dans ce domaine, et les historiens, qui auront à s'occuper de la question, devront se tourner vers la Toscane et l'Italie centrale et septentrionale en général, là où l'on peut trouver bon nombre de solutions. Même s'il existe en Corse des problèmes spécifiques, il n'est pas possible de s'isoler du contexte politique plus général auquel appartenait notre pays. S'il existe plusieurs cas de continuité de peuplement et d'installation de pievi sur des romains, celieu commun de la continuité géographique doit être abandonné car la pieve médiévale correspond à une organisation géographique et politique tout à fait différente de celle des circonscriptions romaines.

 Pour le cas précis étudié ici, il faut tout d'abord reconsidérer le problème de la datation du monument, qui s'est révélé construit à l'époque moderne à partir de pierres de réemploi, en nombre insuffisant. On est ainsi amené à accepter l'inscription qui attribue ( le verbe fecet) la construction de l'église à Mastro Allisandro, en 1600.

 La description faite en 1589 par Monseigneur Mascardi doit donc s'appliquer à la « Pieve » voisine et non pas à cet édifice. Il faut admettre que San Ghjuvanni est construit à cause de la réalisation du pont en cet endroit (remplacé un siècle plus tard par l'actuel). L'ancienne pieve médiévale perdit probablement une partie de ses prérogatives au profit de la nouvelle église. L'examen du monument démontre qu'il est en grande partie reconstruit à partir de la récupération de pierres appartenant à une église précédente, mais en nombre insuffisant pour le monument, malgré ses dimensions réduites.

 Pour essayer de comprendre les raisons concrètes qui amenèrent à la construction de cette chapelle, et le rôle qui fut le sien, en l'absence de documents explicites pour la Corse, il faut se tourner en particulier vers la Toscane et la Ligurie.

          *En Toscane, dans les zones montagneuses de l'intérieur, la pieve institutionnelle survit jus-qu'au XIIIème siècle, et lui sont liés les voies de communication, les cimetières, les baptistères et la perception des dîmes. Alors progressivement, avec le développement des ordres religieux et la création de circonscriptions religieuses de dimensions moindres, commence sa lente déca- dence et sa disparition progressive .

          *En Ligurie, se vérifie un phénomène semblable ( n'oublions pas qu'en 1600, la Corse subit de facto la domination génoise), et un savant local a pu y affirmer qu'au XVème siècle commence « la période de la création fébrile des chapelles, des contestations fréquentes et insistantes, des contrats qui établissent l'autonomie de certaines églises afin de limiter les prétentions des pievans ».

La construction d'un édifice de ce type en 1600, selon un schéma « roman », ne doit pas nous étonner, si on le compare à la tenacité des traditions, par exemple dans le domaine de la céramique, où des mêmes formes de vases modelés sont réalisés, sans modifications substantielles, avec la même technique, depuis la préhistoire jusqu'à l'époque moderne. Et dans notre pays, refermé sur lui-même, en particulier à l'intérieur, cela ne doit pas surprendre. Il est frappant de voir comme toutes les colonisations de la Corse ont évité l'exploitation de l'intérieur, en faisant seulement en sorte de le réduire au silence.

 Une confirmation de la date de construction que je propose nous est donnée par l'épigraphie. Les nombreuses dates que l'on peut lire, gravées sur la paroi sud, peuvent être, elles aussi, un indice: la plus ancienne est justement celle de 1600, comme celle d'Allisandro, alors que la plus récente est de 1789. Elles concernent des sépultures réalisées le long de cette paroi. La restauration de 1742, signalée, elle aussi, par une inscription sur le mur sud, concerne probablement une réfection du toit, encore assez bien conservé aujourd'hui, mais peut-être aussi quelques travaux de restauration de la partie haute des murs qui justifie le terme de « restauravit ».

 

 

San Ghjuvanni di u ponte a u larice, d'Altiani, montre qu'en Corse, en 1600, certains aspects du système pievan médiéval étaient toujours opérationnels. Dans l'état actuel de la recherche, les hypothèses relatives à ce monument doivent être considérées plutôt comme des hypothèses de travail que comme des conclusions définitives, que l'on peut ainsi résumer:

 Autour de l'année 1600 environ, a lieu une légère modification du parcours de l'axe routier entre Aleria et les pievi du centre de l'île. A l'endroit choisi pour la nouvelle bifurcation de la route provenant d'Aleria pour Corti et Altiani, on construit la nouvelle église de dimensions réduites, en déplaçant probablement de quelques centaines de mètres l'emplacement officiel du siège de la « Pieve » antique. Ce déplacement est sûr, du moins en ce qui concerne la fonction funéraire. Les dimensions de l'édifice ne pouvaient lui permettre de répondre à tous les besoins de la pieve de Rogna, l'une des plus étendues de toute la Corse. 

En ce qui concerne la fonction funéraire, elle n'était probablement destinée qu'à l'actuel can-ton de Pedicorti, au maximum. Par exemple, pour le canton actuel de Vivariu, devait déjà exister l'arca de Santa Maria, en contrebas du village actuel.

En ce qui concerne la fonction baptismale, aucun élément n'a été apporté, pour le moment, par la fouille: peut-être avait-on continué de baptiser à la « Pieve », ou bien chaque paroisse en avait-elle déjà le privilège ? Il n'est pas évident que l'on puisse intégrer le toponyme actuel de San Ghjuvanni en San Ghjuvanni Battista.

 En plus de l'aspect funéraire, il faut tenir compte du fait que le rôle de l'église était essentiellement celui du contrôle de la traversée du fleuve et des voies de communications de l'époque aux endroits stratégiques. Dans le cas présent, le ponte a u larice et l'embranchement pour Altiani et Pedicorti étaient un pasage obligatoire, en particuler pour les troupeaux transhumant entre piaghja e muntagna. Même sil s'agit d'une hypothèse de travail qui devra attendre un grand nombre de preuves concrètes, les pievi commencent peut-être à perdre certaines de leurs prérogatives, à partir des XIème et XIIème siècles, au profit de certaines abbayes bénédictines, en s'intégrant cependant dans un schéma d'aménagement ( pour utiliser un terme moderne), comme unité essentielle du système administratif.

 En 1600, un édifice tel que celui de San Ghjuvanni, peut-être sans le titre de pieve, a pu reprendre certaines des attributions de l'ancien système, pour une circonscription réduite, en ce qui concerne la fonction cimetériale et celle du contrôle des axes de communication.

 

                                      Par PHILIPPE PERGOLA de l'INSTITUT PONTIFICAL d'ARCHEOLOGIE CHRETIENNE, à ROME.                                  

                                      CERVIONI, août 1979.

 

LES HYPOTHESES DE GENEVIEVE MORRACHINI-MAZEL

 

     1) SAN GHJUVANNI BATTISTA, PLEBANIA ?

 

La construction de San Ghjuvanni pourrait être située aux environs du Xème siècle, un peu après celle de San Pancraziu de Pietra di Verde ( vers le début du Xème siècle) et celle de san Quilicu d'Olcani ( première moitié du Xème siècle). En 1589, Mgr. Mascardi l'avait visitée; c'était alors une église champêtre, dite Monachia:

 « ...elle est éloignée des habitations par deux milles; son toit laisse passer la pluie... », « ... ses murs possèdent deux petites fenêtres... et deux portes; il y a une seule cloche pendue à la maison du monacu; celui-ci, nommé Valerius, fils de Napuleone, d'Altiani, est laïc, non marié. Ses revenus se montent à 80 livres en terre et en bétail, qui sont perçus par lui, pour lui-même et pour nourrir les pauvres qui sont en voyage. », « En guise d'icône, il y a une sculpture de la Vierge Marie, très abimée et une vieille croix... », « ... on y célèbre l'office deux fois l'an; les bergers y logent la nuit ainsi que les voyageurs; ils y font du feu de telle façon que le toit est tout noir; chaque année, le peuple vient y faire une veillée, la nuit de la fête... », « ... le monacu ne rend jamais les comptes de ses revenus... »

 La question de la pievanie de Rogna n'a pas toujours été très claire pour certains auteurs. Casanova indique que la piève de Rogna n'avait pas de piévan titulaire, mais que le curé d'Altiani avait été considéré comme piévan politique en 1781, lorsqu'il assista aux Etats de la Corse.

 En fait, nous pensons que cette vieille chapelle San Ghjuvanni Battista, située au centre de la vaste piève de Rogna, était bien le titre de la piévanie, au moins depuis le Xème siècle.

En 1799, en effet, une nomination parle de la « plebania Sancti Joanni Plebis Rogna » qui était pourvue en même temps que l'église paroissiale San Gabriellu arcangelu d'Altiani ( Mes. De l'Evéché d'Ajaciu, Registre des bénéfices d'Aleria, 1787-1799).

 Deux bulles pontificales conservées au presbytère d'Altiani concernent également cette piévanie ( nous avons pu les consulter grâce à l'obligeance de M. l'abbé Vincenti, alors curé d'Altiani). Il resterait à savoir si elle n'a pas succédé à une piévanie plus ancienne encore, celle qui se trouve au lieu-dit Pieve, sur le territoire de la commune de Fuccichja. ... Je pense que ce dernier édifice pourrait remonter ( du moins pour sa partie la plus ancienne) aux VII- VIII ème siècles et plus anciennement encore. Selon moi, elle appartenait à une pievanie paléochrétienne ayant existé dès le IV ème ou le V ème siècle ( in Geneviève Moracchini-Mazel. Les églises romanes de Corse. Paris 1967. pp 20 et 331).


 

     (2) SAN GHJUVANNI EVANGELISTA, SIMPLE MONACHIA ?

 

L'édifice si pittoresque qui existe près du pont d'Altiani, sur le Tavignani, est arrivé jusqu'à nous dans un état correct, puisqu'il a conservé sa toiture. On peut donc examiner sa nef unique dont la muratura offre la particularité de l'alternance de grandes dalles de pierres, en chaînage, etr de rangées de petites pierres assez régulièrement disposées.

 La taille des pierres est soignée et leur appareillage nous indique que nous arrivons au terme de l'évolution de l'architecture pré-romane insulaire et que va débuter, quasiment vers la fin du Xème siècle, coincidence, le premier art roman du XIème siècle. La belle qualité de l'arc absidal, dont les hauts claveaux minces sont agencés avec précision, nous prouve la technicité du Maître d'oeuvre.

 Mais je crois reconnaître, à la base du mur sud et à la base du mur semi-circulaire, un autre type de muratura que celle-ci. On pourrait supposer que, vers le IXème siècle, un autre monument a précédé l'actuel ( lequel, donc, se serait resservi des murs arasés comme fondations).

 J'ai cru longtemps qu'après la disparition de la plebania San Ghjuvanni Battista (connue dans le canton sous le nom de « a Pieve », située à quelque centaines de mètres sur la commune de Fucicchja, ruinée et transformée longtemps en habitation) la monachia du pont d'Altiani avait pu être utilisée comme plebania.

Je ne le pense plus aujourd'hui. La confusion entre Battista et Evangelista m'avait fait hésiter. Cependant, j'aurais dû m'en tenir à la description de Monseigneur Mascardi, en 1589, qui est très claire: elle se dénommait monachia et le moine Valerius, qui la desservait, nourrissait les pauvres qui passaient sur le chemin (1).

 Le fait qu'elle était dédiée à San Ghjuvanni Evangelista, puisqu'un acte notarié de 1721 le précise (2), indique bien que l'on n'y célébrait pas le baptême.

 

 (1) Les églises romanes, vol. II, p. 332 : « Ecclesia titulo Sti Io(ann)is campestris Monachia nuncupata » etc.

 (2) Acte cité par M. M. Corazzini et Giorgi-Antonetti, in BSSHNC n° 660. 1991 : cf. la mise au point que j'ai faite à ce sujet in BSSHNC n° 662.

 

          * Dans l'acte de 1721, qui est dù au notaire Carlo Lorenzo, il est dit:

            ... « vicino... a d° ponte esservi una casa et un'altra chiesa sotto il titulo di S. Giovanni Evangelista ».

            Quelques lignes plus loin, il est fait mention de la

            « chiesa di S. Gio Battista del Benefizio semplice... mezo milie circa da d° ponte ».

Il sagit donc bien, pour cette dernière église, de la plébanie de Rogna, et qu'il ne faut pas confondre avec notre « monachia ».

 Sur les vocables respectifs des églises préromanes au Sud du Tavignanu, aucun doute n'est désormais possible, car le maçon chargé de les restaurer en 1721, les a désignées clairement dans cet acte notarié.

 

          * Cf. Morrachini-Mazel (G.) A propos des églises San Ghjuvanni proches du pont d'Altiani (Haute-Corse): in BSSHNC n° 662. 1998, pp. 130-131:

 " La Monacchia San Ghjuvanni Evangelista est bien celle qui est près du pont et qui fut visitée par Mgr. Mascardi en 1589. Mais la plebania de Rogna, S. Ghjuvanni Battista, qui est à un peu plus d'un kilomètre de ce pont, sur la Commune de Fucicchja (un demi-mille, dit l'acte) est bien l'édifice ruiné qui est une ancienne église transformée en maison, dont il reste la belle abside, et que Mgr. Mascardi n'a pas même mentionnée".

 

 

 San Ghjuvanni Battista ( A Pieve), sur la commune de Fucicchja.

 

DESACCORDS AVEC PHILIPPE PERGOLA

 

     * Ainsi, les discours longs et compliqués de P. Pergola, au sujet de ces deux édifices, sont stupéfiants. J'y réponds brièvement:

                            a) Mgr. Mascardi, qui n'a pas visité la plebania, n'a jamais prononcé le mot « Battista » (Pergola, p. 15).

                            b) Il n'y a pas de dalles de réemploi, provenant de San Giovanni Battista, dans l'église San Giovanni Evangelista du pont, car la taille de pierre – tout comme le type de l'appareillage – est bien différente dans les deux monuments … pour un spectateur à l'oeil exercé.

 

     * La date indiquée par lui pour San Giovanni Evangelista (1600) est impensable: en effet, cette monachia a été décrite, pratiquement comme elle est aujourd'hui, par Mgr. Mascardi, en 1589. Elle était déjà ancienne de plusieurs siècles! L'édifice se remarque par son style « premier art roman » bien caractérisé, datable de la fin du Xème siècle, comme je viens de le proposer. Certes, un certain Maestro Allisandro a gravé, sur le mur Sud, son nom et une date voisine de 1600, mais il ne s'agit que de réparations dont il voulait que l'on se souvienne. L'obstination dans une telle méprise – avec confusion entre deux édifices – me semble incompréhensible.

                                                                              Cf. Pergola (P.) Architecture religieuse et topographie de la Corse médiévale.

 

     * Deux cas concrets:

                                       - Santa Mariana di Talcini ( Corti) et San Ghjuvanni di u ponte a u larice (Altiani), in Etudes Corses, n° 15, 1980, pp. 15 à 25;

                                       - Du même auteur, Archéologie et Société: orientations nouvelles pour l'histoire socio-culturelle, économique et politique de la Corse au Moyen-Age, Cervioni, 1980.


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 Croquis de Renaud Remusat


 

RAPPELONS EN QUELQUES MOTS LA VIE DE CES DEUX SAINTS

 

 

     1. SAN GHJUVANNI EVANGELISTA ( 27 décembre )

 

L'auteur du 4ème Evangile était un pêcheur, comme son père Zébédée et son frère Jacques. Il participa aux principaux évènements de la vie du Christ: Noces de Cana, Résurrection de la fille de Jaïre, Jardin des Oliviers, Dernière Cène, Calvaire – où Jésus lui confia Marie - , Visite au tombeau, Apparition du Christ sur la rive. Avec Pierre, il évangélisa la Samarie. Il aurait ensuite séjourné à Antioche, puis à Ephèse où il serait mort presque centenaire et où l'on montrait son tombeau.

 En Corse, assez peu de sanctuaires ont été placés sous le titre de San Ghjuvanni Evangelista: des édifices du Haut Moyen-Age, comme celui de Prunelli di Fiumorbu ( VIème siècle environ), ont été, dès l'origine, des monachies. Mais, vers le XIIème siècle, à Muro, une église était élevée sous ce vocable, dans la vallée du Reginu.

 A Murato, la belle monachia San Ghjuvanni, bien que transformée au cours des âges, conserve une élégante abside dont la fenêtre offre des parements taillés un peu à la façon de S. Giorgio de Rogliano. Cette architecture, est sans doute de fondation pré-romane dans des reprises aux IXème et Xème siècles.

 Le cas de l'église paroissiale de Santu Petru di Tenda, qui avait hérité assez tard du titre de plebania ( Santu Petru Vecchju à Rapale), est assez complexe. On y conserve, en tout cas, une image de San Ghjuvanni Evangelista, de même qu'à l'église de San Ghjuvanni di Moriani.

 A Belgodere, dans la chapelle de San Ghjuvanni, dite « ante portam latinam », un tableau représente le martyre de l'Apôtre plongé dans l'huile bouillante – supplice auquel le cruel Empereur Domitien l'avait condamné. Ce supplice, dont il sortit indemne, eut lieu près de la porte qui conduisait au Latium. Après l'assassinat de Domitien, l'année suivante, il put retourner à Ephèse et vivre tranquille sous le règne de Nerva.

 Le tableau de Belgodere est du peintre P. Ant. Rossi (vers 1711), selon M. Nigaglioni qui cite également les chapelles de Santa Maria di Lota et d'Oletta, au hameau de Romanacce, avec un tableau de Giacomo Grandi.

 En ce qui concerne la chapelle située au pont d'Altiani, le doute subsiste sur son appellation. En effet, les archéologues ne sont pas d'accord entre eux. Pergola prétend qu'il s'agit de l' ancienne église piévane de Rogna, nommée San Ghjuvanni Battista, alors que Geneviève Morrachini-Mazel parle, à son sujet, de la monachia San Ghjuvanni Evangelista. Pour elle, c'est l'église située à quelques centaines de mètres du pont, sur la commune de Fuccichjia, couramment appelée « la pieve », qui aurait été dédiée à San Ghjuvanni Battista.

 

     2. SAN GHJUVANNI BATTISTA ( 24 juin )

 

Fils d'Elisabeth et de Zacharie, Ghjuvanni Battista vécut longtemps au Désert, baptisa le Christ, reprocha sa conduite à Hérode, le Tétrarque, qui le fit mettre en prison, puis le fit décapiter, à la demande de Salomé, fille d'Hérodiade, au printemps de l'an 29.

En Corse plus d'une cinquantaine d'édifices ont porté, à l'époque paléochrétienne et au Moyen-Age, le vocable de San Ghjuvanni Battista, chiffre auquel il faudrait ajouter le patronnage des petits baptistères accolés aux églises piévanes.

Pour ne prendre qu'un seul exemple, à la piévanie de Rescamone, à Valle di Rustinu, - qui est qualifiée, encore dans les textes tardifs, d'église Santa Maria Annunziata et San Ghjuvanni Battista -, le petit baptistère paléochrétien, datable des environs de l' an 400, devait probablement porter ce titre dès ses débuts, l'église principale voisine étant dédiée à Santa Maria Assunta, avec fête le 15 Août. C'est dire à quel point ce culte appartiendrait à la première période du Christianisme officiel dans l'île, comportant l'organisation des cérémonies baptismales dans chaque piève, sous l'autorité des premiers évêques et des premiers piévans.

Le cas de Ficaria, dans le « marais  San Ghjuvanni », à Pianottoli, confirme celui de Rescamone. Le baptistère, dont la date de fondation est attribuable aux années 370 environ, a probablement porté ce vocable depuis le temps où le lieu de culte païen antérieur a reçu la christianisation.

 

Statue de San Ghjuvanni Battista dans l'église de la Nunziata à Altiani.

 

Le personnage de Baptiste a été souvent traité par les artistes; soit en prophète, soit dans la scène du baptême au Christ, notamment à l'époque classique, puis baroque. Pour la cathédrale de Bastia, on avait commandé, encore en 1857, un beau groupe sculpté; l'auteur en est Ferdinando Pellicia, de Carrara.

 Pour la décapitation de San Ghjuvanni Battista, qui a été maintes fois représentée en Corse, il peut suffire de donner un exemple choisi dans la peinture populaire. La scène est figurée de façon naïve et narrative, un peu à la façon d'une bande dessinée, sur une toile conservée à Moïta; sur cette peinture, datable du milieu du XVIIIème siècle, exé cutée par Giacomo Grandi, on voit, au registre inférieur, Salomé portant la tête du Précurseur sur un plateau et le corps décapité à ses pieds; le bourreau est représenté comme un Barbaresque du temps des razzias. Hérodote, dans son beau costume, se trouve à côté de Salomé, tandis qu'un groupe des Ames du Purgatoire occupe un angle du tableau; au registre supérieur, la scène de l'Annonciation, avec un ange à l'allure dansante, est encadrée par San Pietro, clef dans la main gauche, et Santa Lucia, yeux dans la main droite, palme dans la gauche.

 La dévotion à San Ghjuvanni Battista, encore au XVIIIème siècle, dans l'ancienne piève de Matra – dont la piévanie, datable du Xème siècle, était placée sous ce même vocable -, est bien significative; cette église piévane ruinée ( commune de Novale d'Alesani) domine le village de Moïta, mais elle est « remontée » , presque surement, depuis le coeur de la haute-vallée de la Bravone, où devait exister un primitif sanctuaire sous ce vocable.

 Quant à l' église située au pont d'Altiani, le doute subsiste encore ( voir le châpitre sur la chapelle pré-romane de cette commune). Etait-elle dédiée à San Ghjuvanni Battista ou à San Ghjuvanni Evangelista? La réponse reste incertaine. On retrouve cependant une statue de San Ghjuvanni Battista dans l'église paroissiale de ce village, ainsi qu'un très beau tableau de Giacomo Grandi: la décollation du saint.

 

Décollation de San Ghjuvanni Battista par Giacomo Grandi ( Eglise de la Nunziata - Altiani).

 

 

                                                                                                                                                  D'après Geneviève Morrachini-Mazel

 


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