XVIème SIECLE: L'EVOLUTION DU SITE GEOGRAPHIQUE D'ALTIANI.

 

 

d'après Laurent Serpentini

 

  LE TERRITOIRE:

 

   Altiani fait partie de l'antique Pieve de Rogna, une des plus importantes de l'île, qui s'étendait de part et d'autre du Tavignani, sur près de 60 km entre le lieu-dit Ponte a Ghjunta, à une quinzaine de kilomètres de Corti, et Frassiccia, à une dizaine de kilomètres de l'embouchure du fleuve, à Aleria. Le territoire de la Pieve mordait également sur la plaine orientale au sud d'Aleria, avec les biens communaux d'Antisanti, et, avec Vivariu, atteignait le col de Vizzavona.

   Tavignani était la véritable épine dorsale de cette Pieve qui regroupait douze villages, répartis plus ou moins régulièrement sur les hauteurs, de part et d'autre du lit du fleuve; cette répartition géographique, tout autant que l'importance de la Pieve, entraînait une différenciation quasi-officielle. Ainsi distinguait-on souvent la Pieve de Rogna «  di qua di fiume », de la Pieve de Rogna « di la di fiume ».

   L'en-deça du fleuve dominé par sept villages, Erbaghjolu, Fughjichia, Altiani, Pedicorti-di-Caghju, Petraserena, Giuncaghju et Pancheraccia, formera, en 1790, et cela est signifiant, le Canton de Tavignani, avant de devenir Canton de Pedicorti-di-Caghju, au début du XIX ème siècle.

   L'au-delà ou rive droite du fleuve comprenait les Communautés de Vivariu, Muracciole, Rospigliani,Vezzani, Nuceta et Antisanti, actuellement englobées dans le Canton de Vezzani, et dont les deux dernières seulement bordent effectivement le fleuve.

   Altiani, avec Erbaghjolu et Fughjichia, se situe dans la partie la plus septentrionale de la Pieve de Rogna, aux confins du Boziu, et son territoire s'étend en deux parties presque égales, de part et d'autre du Tavignani.

   La partie montagneuse de la Commune, qui culmine sur les flancs de la Punta a Cerviu (1189 m), ne représente qu'environ 10% de son espace. Sur l'ensemble de son territoire, l'altitude moyenne ne dépasse que très rarement les 500 m.

   La Commune d'Altiani s'étend sur 1829 ha et 50 ca, et son territoire est tout à fait représentatif de la dépression centrale de la Corse.

 

  L'EVOLUTION DU SITE:

 

     «  Tout paysage rural est par lui-même un document que l'historien se doit de connaître en tant que témoignage archéologique d'une nature spéciale, permettant de reconstituer quelques étapes passées de l'histoire sociale des hommes. »

     Cette phrase écrite par H.H. Stahl, à propos des finages roumains, et ce jugement de valeur générale, peut fort bien s'appliquer à notre Commune où, en l'absence de toute enquête archéologique, c'est, tout autant sur une bonne connaissance du territoire natal que sur la tradition orale et une documentation plus récente, que reposent les premiers résultats d'une enquête destinée à dépasser le cadre géographique ci-dessus défini.

     L'évolution des sites villageois, provoquée, dans un premier temps, par la nécessité de fuir les zones basses impaludées, obéit, ici comme ailleurs, à deux soucis principaux qui visent, et peut-être pas dans cet ordre:

                        1) à mieux contrôler le territoire dont on revendique la propriété.

                        2) à se protéger de l'ennemi potentiel venu de l'extérieur.

     C'est ce qui fait que, très tôt ( X ème, XI ème siècle), la vie qui, semble-t-il, s'était initialement organisée le long de la vallée du Tavignani, comme en témoignent les fouilles de « Castellare » et les vestiges du lieu-dit « Pieve », s'est redéployée dans l'intérieur des terres, au terme d'une longue évolution dont les étapes ne sont, sans doute, pas toutes connues.

     C'est là, en tout cas, à mi-pente, entre le fond des vallées et les emplacements actuels que subsistent les ruines des sites anciens, fort bien connus des gens du cru, et que la tradition populaire relie aux villages du Moyen-Age.

     Pour Altiani, décrit ci-dessus, la tradition orale cite communément les toponymes suivants, dans l'ordre chronologique de leur existence supposée:

                                          - U Petraghju

                                          - Altiani

     Ce site de U Petraghju est fort bien localisé et les ruines subsistent; bien qu'elles soient aujourd'hui enfouies dans un maquis très dense, les derniers détenteurs de la tradition orale sont toujours capables de nous fournir une description de ces vestiges tels qu'ils existaient, il y a quatre-vingts ans, à l'époque de leur enfance ou de leur adolescence,lorsqu'ils parcouraient chaque jour, à la suite de leurs parents, une campagne encore cultivée.

2 vues sur les ruines du Petraghju.

     

     

 

 

 

 

 

 

 

A ce stade de notre enquête, un double problème de chronologie se pose:

                      1) De quand datent ces deux établissements humains?

                      2) S'agit-il d'un habitat dispersé, ayant coexisté à une époque donnée, ou bien, comme le prétend la tradition orale, nous trouvons-nous en présence de deux phases successives d'urbanisation conduisant au village actuel?

     Pour répondre à ces interrogations, abandonnons, un instant, la tradition orale pour faire appel à la documentation écrite.

     1) A l'orée du XVI ème siècle, Monseigneur Agostino Giustiniani notait:

      « … la Pieve de Rogna a 870 feux... elle est divisée par le fleuve Tavignani en deux parties égales... Près d'Altiani se trouve le pont de Lerge... au dela du fleuve, la Pieve comprend Herbaggiolo.... Altiani, Lo Petraggio.... et Carco... ».

     Donc, dans les premières décennies du XVI ème siècle, coexistaient Altiani et U Petraghju.

     2) La visite apostolique de Monseigneur Mascardi, quelque soixante ans plus tard, va nous permettre de préciser cette description.

     En 1589, à Altiani, outre l'église San Ghjuvanni Battista du pont à u Lariciu, dite Monacchia, située à deux milles des habitations, Monseigneur Mascardi décrit la chapelle San Michele et l'église Santa Maria Nunziata.

          - L'église San Michele est toujours église paroissiale:

 

 

San Michele

 

 

     « … elle se trouve à un demi-mille des habitations. Ses murs sont peints en partie... elle a deux portes, elle n'est pas assez lumineuse, avec une fenêtre unique... Ses revenus atteignent 42 aurei en terres et, en prémices, on y célèbre le jour de la fête et, à l'occasion, des funérailles. Il n'y a pas de campanile, mais une cloche est pendue à un arbre dans le cimetière. » 

 

            - D'après Monseigneur Mascardi, l'église Santa Maria Nunziata faisait déjà fonction d'église paroissiale, bien qu'officiellement cette dignité soit encore réservée à San Michele:

 

     « … elle se trouve au milieu des habitations, elle a une seule petite fenêtre, deux portes... ».

     Nous pouvons donc en conclure que U Petraghju n'apparait plus comme village habité et que la vie semble s'être repliée sur le site actuel d' Altiani, autour de l'église Santa Maria Nunziata, qui tend à acquérir les prérogatives d'une église paroissiale aux dépens de San Michele, vestige de l'ordre ancien. L'utilisation de vieux cimetière de cette dernière laisse penser que cet abandon est récent.

     - San Ghjuvanni Battista du pont à u Lariciu ( ou Lerge) semble ne jouer qu'un rôle marginal dans la vie religieuse de ce temps:

 

2 vues de San Ghjuvanni Battista.

 

     

 

 

« … on y célèbre deux fois l'an... » confirme Monseigneur Mascardi.

     Une évolution chronologique se dessine déjà, mais avant toute interprétation, replaçons ces deux sites sur le terrain.

     On constate pour U Petraghju et Altiani la même évolution que pour les sites voisins de A Casella et Erbaghjolu, et pour ceux de A Lamella et Fucichja.

     En effet, les ruines de U Petraghju couronnent une colline culminant à 533 m, portée au plan du cadastre d'Altiani, à la section C, feuille 3, qui domine l'emplacement de l'église San Michele, distante de quelques 300 m. Quant au village actuel, il se situe à 500 m à l'ouest, sur un site facilement défendable, culminant à 599 m.

 

Altiani vu du Petraghju.

 

     Les trois villages d'Altiani, Fucichja et Erbaghjolu occupent, d'ailleurs, des éperons rocheux symétriques qui constituent les derniers sites défensifs naturels entre la vallée du Tavignani et la ligne de crête.

     Ceci étant précisé, la datation de ces édifices religieux, proposée par Madame Geneviève Moracchini-Mazel, ainsi q'un dernier appel à la tradition orale, va nous permettre de compléter le puzzle.

     En effet, selon cet auteur, la chapelle San Michele d'Altiani, ancienne église paroissiale desservant le village de U Petraghju, daterait du X ème siècle. Elle est abandonnée, au XVI ème siècle, par une population désormais repliée sur le site actuel, autour de l'église Santa Maria Nunziata qui exerce, dorénavant, le rôle d'église paroissiale.

 

 2 vues de San Michele aujourd'hui.

        

     

 

 

 

 

 

 

 

     Tout cela laisse, donc, suggérer une progression lente mais continue vers les hauteurs.

     Les sites du haut Moyen-Age contrôlaient les basses vallées des affluents du Tavignani, près, sans doute, des premières implantations humaines et, dans tous les cas, des terres les plus fertiles et les plus facilement exploitables. Ils ont, par la suite, coexisté, avant de disparaître, avec de nouveaux villages installés, à mi-pente, dans le fond des mêmes vallées, certainement dans le but de mieux partager le contrôle du territoire (commun ?). Ces derniers cèderont progressivement le pas aux villages actuels, dans le courant du XVI ème siècle.

     Cette dernière étape, qui aboutit donc, pour Altiani, au site défensif naturel où il niche aujourd'hui, s'est effectuée essentiellement sous la poussée des incursions des pirates maghrébins, dont la chronique locale a conservé maints détails. La piraterie barbaresque devient, au début du XVI ème siècle, un fait général en Méditerranée et se fait sentir durement en Corse du fait de la faiblesse de l'Etat génois. L'intérieur des terres n'est pas épargné par les pirates, qui, suivnat le fond des vallées, remontent vers l'intérieur de l'île à la recherche de butin et d'esclaves. Les habitants de Rogna, entre 1568 et 1570, demandent, d'ailleurs, la construction d'une tour à Aleria.

     Ainsi, à Altiani, le village actuel ne dut sa sauvegarde qu'à son site exceptionnel et au courage de ses habitants qui réussirent à écraser les Maures sur la Piazza Moraccia, aux pieds du fortin initial ( voir chapitre "Piazza Moraccia"). Par delà ce fait d'armes héroïque, magnifié, sans doute, par le temps et le talent des conteurs, une certitude demeure: ce péril permanent incite les populations locales à se réfugier sur des sites aisément défendables et d'où l'on peut voir l'ennemi venir de loin.

     L'autre avantage étant, bien sûr, de mieux contrôler l'espace en se rapprochant des terres hautes propices à la plantation de châtaigniers dont Gênes va, maintenant, encourager le développement.

 

                                                                                                 A.L. SERPENTINI

 

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