PROCES FUCCICHJA CONTRE ALTIANI.

 

 

 

ATTENDUS ET VERDICT DANS LE PROCES OPPOSANT FUCCICHJA ET ALTIANI

POUR LA POSSESSION DU BOIS DE "GAGHJU" OU "CEREU".

 

-1858 -

 

PREMIERE PRESIDENCE DE M. LE Cte. COLONNA D'ISTRIA.

RECUEIL DES ARRETS NOTABLES DE LA COUR IMPERIALE DE BASTIA.

 

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Source Gallica/BNF

 

         NAPOLEON

         par la grâce de Dieu et la volonté nationale, empereur des Français, à tous présents et à venir, Salut.

 

         La cour impériale de Bastia, chambre civile, a rendu l'arrêt suivant:

         Dans la cause entre le sieur Alessandri (Antoine), maire de la commune de Focicchia, agissant en cette qualité, domicilié et demeurant à Focicchia, appelant, assisté de Maître Nicolini, Avoué, plaidant Maîtres Gavini et Morati, Avocats.             

        Et le sieur Federici (Laurent) agissant en qualité de maire de la commune d'Altiani, domicilié et demeurant à Altiani, intimé, assisté de Maître Campana, Avoué, plaidant Maître Savelli, Avocat.

        Maître Nicolini, dans l'intérêt de Monsieur le maire de Focicchia, sa partie, a conclu:

    Par les motifs insérés aux conclusions motivées.

Plaise à la cour, faisant droit à l'appel du concluant relevé le 9 octobre 1857 contre le jugement rendu par le tribunal civil de Corte le 4 mai 1857, dire et déclarer que le jugement attaqué est nul en la forme et qu'il a mal jugé au fonds, par suite ordonner que ledit jugement sera annulé et en tous cas infirmé;

Déclarer l'intimé non recevable dans sa demande autant au moins mal fondé; que par suite, la commune de Focicchia sera reconnue propriétaire exclusive du bois de Gaggio ou Cereo en contestation; condamner la partie de Maître Campana, intimée, en tous les dépens tant de première instance que d'appel; ordonner la restitution de l'amende;

Sauf et sous réserves et sans le moindre acquiescement préjudiciable et sauf à prendre tout autre conclusion qu'il appartiendra;

Subsidiairement déclarer le fait articulé par la commune de Focicchia concluant, pertinent et admissible, par suite l'admettre à prouver:

1 – qu'elle a possédé pendant plus de trente ans, publiquement et paisiblement le bois en contestation

2 – que la commune d'Altiani n'a jamais exercé sur ce bois que le pacage et ce, à titre de commune limitrophe; qu'ainsi le fait de possession que pouvait articuler cette dernière commune était entaché de précarité;

3 – que la commune de Focicchia, au contraire, avait toujours retiré de ce bois tout le profit dont il est susceptible, qu'elle a très souvent affermé le pacage du même bois à des bergers étrangers;

4 – qu'après la promulgation de la loi prohibitive de la vaine pâture en Corse, elle a affermé le pacage de Cereo à des habitants mêmes de la commune d'Altiani.

Pour ladite preuve faite et rapportée être par la cour statué ce que de droit.

Dire, dans ce cas, dépens réservés, ce sauf et sous toutes réserves et sans le moindre acquiescement préjudiciable.

Maître Campana pour Monsieur le maire d'Altiani, sa partie, a conclu:

Il plaira à la cour, sans s'arrêter à l'appel émis le neuf octobre dix huit cent cinquante sept par la partie de Maître Nicolini dont elle sera démise et déboutée comme irrecevable et dans tous les cas mal fondée.

Confirmer purement et simplement le jugement attaqué rendu contradictoirement entre les parties par le tribunal civil de Corte le 4 mai 1857, sous toutes réserves que de droit même de relever appel incident et sans aucun acquiescement préjudiciable.

Point de fait: Depuis un temps immémorial la commune de Focicchia et d'Altiani paraissent avoir été en contestation relativement à la propriété et à la jouissance de leurs communaux respectifs, et notamment du bois de Gaggio ou Cereo; aussi voit-on à différentes époques ces deux communes régler par des actes le mode dont elles devront jouir en commun de ces diverses propriètés après avoir le 30 décembre 1672, fait entre elles un traité d'union par lequel il fut convenu que pour mettre un terme aux difficultés qui divisaient les populations des deux communes, les deux peuples d'Altiani et de Focicchia auraient joui en commun et comme s'ils étaient tous d'un même village du bois, pâturages et communaux appartenent réciproquement à chacune des deux communautés.

De nouvelles contestations ayant surgi relativement à la propriété de Gaggio et à la jouissance des autres communaux, les procureurs des deux communautés se réunirent sur la place publique d'Altiani le 25 février 1676 et dans un acte rédigé par notaire, il fut convenu que si la commune d'Altiani ne produisait pas dans les quinze jours des titres pour établir ses droits sur le bois de Gaggio ou Cereo, ce bois aurait appartenu à la commune de Focicchia à la condition cependant que l'abbé Charles Alessandri et le sieur Jean-Félix de Christophe de Focicchia auraient affirmé sous la foi du serment, que réellement ce bois appartenait à la communauté dont ils faisaient partie. Ce serment fut, en effet, prêté dans la forme voulue le huit mars seize cent soixante seize devant le notaire Leonardo Designorio et cet acte de prestation de serment a été homologué par l'autorité supérieure le 27 du même mois. L'on devrait croire ainsi toute contestation terminée, mais de nouvelles prétentions furent à ce qu'il paraît, soulevées par les habitants d'Altiani, puisque la question fut de nouveau soumise au Nobile Nicolo della Chiesa, lieutenent de Corte, et à deux autres arbitres lesquels, après avoir pris connaissance des divers actes intervenus entre les deux communautés, décidèrent le 29 juin 1676 que si les habitants d'Altiani ne déclaraient pas, dans le délai de deux mois, qu'ils consentaient à mettre en commun avec les habitants de Focicchia, la jouissance de leurs communaux et territoires ( Circoli) respectifs, les habitants de Focicchia resteraient propriétaires exclusifs du bois de Gaggio.

Cette déclaration paraît n'avoir jamais été faite par les habitants d'Altiani.

Le 16 mars 1678, une nouvelle transaction intervint entre les deux communes et il fut convenu que les communaux, bois, pâturage et territoire (Circoli) appartenant à chacune d'elles seraient à l'avenir jouis en commun. Cette transaction fut plus tard confirmée par décision du colonel de Cursay, commandant les troupes du roi à Corte, en date du neuf octobre dix sept cent cinquante-deux et par arrêt du conseil Supérieur de la Corse du vingt trois avril dix sept cent soixante et onze.

Depuis cette époque, la jouissance commune a continué jusqu'à ce que la loi du 22 juin 1854 ait aboli en Corse le parcours de la vaine pâture.

C'est dans cet état de chose que Monsieur le maire de la commune d'Altiani, par acte du 2 février 1856, a assigné Monsieur le maire de la commune de Focicchia en partage du bois nommé Gaggio ou Cereo que ledit maire d'Altiani prétend avoir été possédé par indivis entre les deux communes.

En l'état de cette demande, un jugement est intervenu à la date du30 août 1856 qui ordonne que les divers titres anciens produits devant le tribunal civil de Corte seraient copiés d'une manière lisible.

Cette formalité remplie, la cause a été reproduite par devant le même tribunal qui, par son jugement du 4 mai 1857, a déclaré qu'il n'y avait pas lieu d'admettre la preuve offerte par la commune de Focicchia, propriétaire indivis de l'immeuble en contestation, ordonné le partage de cet immeuble en autant de portions égales qu'il y aura de feux dans les deux communes, sans prononcer sur le nombre de feux qui peuvent exister, ni statuer en ce qui a trait à l'immeuble dénommé Lamella: déboute les parties de leurs demandes en dommages-intérêts: condamne Monsieur le maire de Focicchia es nom aux frais et ordonne que les frais de partage seront supportés par les deux communes en proportion du nombre de lots qui sera attribué à chacune d'elles. Ce jugement levé et notifié à la requête de Monsieur le maire d'Altiani à avoué le 4 juillet 1857 et à partie le 20 du même mois, a été frappé d'appel par Monsieur le maire de Focicchia par exploit de Palazzi (Léonard Luc), Huissier, en date du 9 octobre 1857 dûment enregistré.

La cause mise au rôle et à son tour appelée, les avoués des parties ont pris les conclusions ci-dessus transcrites qui ont été développées par leurs avocats respectifs.

En droit: L'appel de la commune de Focicchia doit-il être accueilli et réformant quant à ce seulement, faut-il déclarer la demande en partage du bois de Cereo, introduite par la commune d'Altiani, fondée?

Faut-il, par suite, déclarer que le bois dont il s'agit est la propriété exclusive de la commune de Focicchia?

Que faut-il statuer relativement aux dépens?

Quid de l'amende?

Oui, aux audiences du 19 et 20 janvier courant, les avoués des parties ont leurs conclusions et leurs avocats en leurs plaidoieries.

Oui, à l'audience de ce jour, Monsieur Bertrand, premier Avocat général, en ses conclusions conformes.

Considérant que si les copies des actes du 20 février et du 29 juin 1676 ne sont pas produites en forme régulière et probante, la commune d'Altiani, intimée devant la cour, n'en demande point par ces motifs le rejet.

Qu'elle a déclaré tout au contraire les accepter tout en soutenant qu'elles doivent être sans influence sur la solution du litige.

Considérant d'ailleurs que la teneur de ces actes se trouve rappelée dans des titres postérieurs dont les énonciations peuvent suppléer à leur production régulière.

Qu'il faut donc apprécier quelle est leur valeur et leur importance dans le litige soumis à la cour.

Considérant qu'il résulte de l'acte du 25 février 1676 qu'une contestation s'était engagée entre les communes de Focicchia et d'Altiani au sujet de la propriété du bois ou... de Cereo, cette dernière commune déféra le serment à celle de Focicchia, que ce serment devait être prêté par deux notables habitants de Focicchia en présence des anciens de la commune d'Altiani.

Considérant qu'il est justifié par la sentence arbitrale du 29 juin 1676, que le serment déféré a été prêté sur la demande de la commune de Focicchia, le 8 mars de la même année, devant le notaire Leonardo de Signori.

Que l'acte de prestation de ce serment a reçu l'homologation de l'autorité supérieure le 27 du même mois de mars, que dès lors, la propriété de Cereo a été définitivement acquise à la commune de Focicchia.

Considérant que vainement l'intimé allègue pour combattre l'autorité qui s'attache au serment, que rien ne prouve qu'il ait été prêté dans les termes et avec la solennité nécessaire.

Qu'une telle objection trouve, en fait, une réponse péremptoire dans les énonciations de la sentence arbitrale de 1673 et, en droit, dans la maxime in antiqui omnia presumentur riti ed solemanitero acta.

Considérant que de nouvelles difficultés s'étaient élevées entre Altiani et Focicchia, à raison du même bois de Cereo et autres propriétés appartenant aux deux communes, il intervint un compromis qui fut suivi de la sentence précitée du 29 juin 1676.

Que cette sentence accorda à Altiani le délai d'un mois pour déclarer si elle voulait mettre en communauté son bois et pacager avec ceux de Focicchia faute de quoi et ce délai passé, le bois de Cereo demeurerait la propriété exclusive de cette dernière commune, avec défense à Altiani d'y rien prétendre ou exercer un droit quelconque.

Considérant qu'Altiani, au lieu de faire la déclaration qui lui était imposée, releva appel de la sentence arbitrale.

Considérant qu'elle ne justifie point que sur son appel la sentence ait été réformée, ni même qu'aucune diligence eût été faite, pour obtenir une décision du juge supérieur.

Considérant que la transaction de 1678 et les actes postérieurs qui l'ont confirmée n'ont pu porter aucune atteinte aux droits exclusifs de Focicchia sur Cereo.

Que la mise en commun du bois et pacages des deux communes stipulée dans cette transaction n'est relative qu'à la jouissance.

Considérant que la jouissance de Cereo par les habitants d'Altiani, quelle ait été da durée, n'a pu se convertir en un droit de propriété, de copropriété, la commune de Focicchia n'ayant pas cessé d'ailleurs d'en être en possession d'y exercer toutes les facultés qui dérivent du droit absolu de propriété.

Que par suite, la jouissance d'Altiani a conservé le caractère de précarité qui lui était assigné pour le titre dont elle procédait, aucune intervention n'en ayant modifié la condition première et la nature originaire.

Qu'à cette hypothèse s'applique la règle melius est non habere titulem quam vitiotum ostendere.

Considérant que les principes de l'équité se joignent dans la cause aux motifs en fait et en droit qui militent en faveur de l'appelant.

Considérant en effet que la commune d'Altiani a rompu la loi du contrat de 1678.

Qu'elle a soustrait tous les bois et pacages à la jouissance de la commune de Focicchia.

Que par conséquent elle ne saurait invoquer les bénéfices de cet acte, tandis que la commune de Focicchia serait dépouillée des avantages qu'il lui conférait.

Considérant sous un autre rapport que la commune d'Altiani est demanderesse.

Qu'elle devait justifier du droit de copropriété dont elle revendique l'exercice.

Considérant qu'elle n'a pas rapporté cette preuve et que la commune de Focicchia n'ayant pas cessé d'être en possession, il y aurait lieu, même en faisant abstraction des titres que celle-ci invoque, de la maintenir en possession et de consacrer son droit de propriété suivant l'adage si pari causa melior est causa possidentis.

Considérant que les dépens sont subordonnés au fond.

 

PAR CES MOTIFS

La cour, disant droit à l'appel et réformant quant à ce seulement.

Déclare mal fondée la demande en partage du bois de Cereo introduite par la commune d'Altiani par exploit du 2 février 1856.

Dit que le bois dont il s'agit est et demeurera la propriété exclusive de la commune de Focicchia.

Condamne la commune d'Altiani aux dépens de première instance et d'appel.

Donne main levée de l'amende.

 

Délibéré en secret et prononcé publiquement au palais de justice de Bastia, à l'audience publique du 25 janvier 1858 tenue par la cour impériale de Bastia, chambre civile, où étaient présents, Messieurs Calmettes, premier Président, Poli, greffier, Gregori, Murati, Roux, Peraldi, conseillers, Bertrand, premier Avocat général, Guasco, greffier.

 

Enregistré à Bastia le 6 février 1858, folio 9 verso, case 4. reçu 10 F. décime 1 F.

 

                                                                                                          signé,

                                                                                                        Zigliara

 

Mandons et ordonnons à tous bénéficier sur ce requis de mettre le présent arrêt à exécution, à Messieurs les Procureurs généraux près la cour, à Monsieur le Procureur près les tribunaux de première instance d'y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique d'y prêter main forte lorsqu'ils en seront légalement requis.

 

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le premier Président et par le greffier.

 

                                                                                                 Pour expédition conforme.

                                                                                                      Le greffier en chef.

                                                                                                   Bastia, le 15 mai 1858

 

 

 

             Commune de Fuccichja                                                              Commune d' Altiani

 

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