DEMOGRAPHIE-CULTURE-ELEVAGE- Du XVI ème au XX ème SIECLE.



D'après Laurent Serpentini.

 

  La nouvelle situation du village à la suite de l'abandon progressif du Petraghju, à partir de la fin du XVI ème siècle, consiste, on l'a vu, à se rapprocher des terres hautes, propices à la plantation des châtaigniers dont Gênes a encouragé le développement.

En 1559, une première constatation s'impose: avec 16,54 habitants par km2 (22,4 pour Altiani, avec 410 habitants) , la région supporte une faible pression démographique. Mais cette faiblesse est, bien sûr, toute relative car il s'agit de replacer les trois villages de notre micro-région (Altiani-Focicchia-Erbaghjolu) dans un cadre politique et démographique insulaire particulièrement désastreux et qui va s'aggravant dans cette deuxième moitié du XVI ème siècle où famines, guerres, épidémies et émigration joignent leurs effets dévastateurs et font de la Corse une île exsangue et dépeuplée.

Les données pour le XVII ème siècle sont inexistantes, mais l'on peut imaginer, après une baisse très significative au moins une récupération durant cette période de calme relatif.

C'est du moins ce que suggèrent les chiffres de 1729.

C'est finalement avec le XVIII ème siècle que la population d'Altiani va décoller en passant de 295 habitants en 1729 à 426 au moment de la rédaction du plan Terrier (1775), avant d'atteindre son apogée en 1901 avec 690 habitants, ce qui représente plus qu'un doublement de la population en un siècle et demi et intègre bien le village dans le contexte insulaire.

 

 

                 Précision pour 1537: 94 feux dont 73 à Altiani et 21 au Petraghju.

(Etat des tailles par feux en 1537 dans la province corse - Archives départementales de Hte-Corse)

On admet généralement qu'un "feu" équivaut à environ 4,5 habitants.

 

 

 

 Consécutivement à ce boom démographique, Altiani supporte à la fin du XVIII ème siècle, au moment de l'élaboration du plan Terrier, une densité de 23,27 habitants au km2, ce qui est sans doute encore très en dessous de la pression supportée par certaines campagnes péninsulaires ou hexagonales, mais qui se révèle conséquente par rapport aux résultats insulaires présentés par A. Albitreccia par secteur et pour l'ensemble de la Corse à partir des données du plan Terrier.A cette époque, la densité de la population insulaire était de 16,20 habitants au km2 et les districts supportent les densités suivantes:        

 Bastia -    31,74 h/km2 -

 Corte -    15,63 h/km2 -

Calvi -     14,92 h/km2 -

Vico -      13,03 h/km2 -

Ajaccio - 17,29 h/km2 -

   

Altiani est donc plus peuplé que le district qui l'englobe et seul le district de Bastia le plus actif et le plus riche de l'île, dépasse ces moyennes.

C'est également le cas pour l'ensemble de notre micro-région.

 

Or, les territoires contrôlés par Altiani et Focicchia ( le plan Terrier les rassemble en une seule communauté pour éviter les contestations permanentes entre les deux villages depuis l'accord ambigu du 30 décembre 1672), sont de mauvaise qualité. Les ingénieurs notaient que pour l'ensemble du territoire " le sol est pierreux et médiocres, les terres des coteaux sont sujettes à être entraînées dans les parties basses par la pente du terrain et la rapidité des eaux".

 

 

Carte Plan Terrier

 

 

Extrait du Plan Terrier

Ces deux documents m'ont été transmis par l'Associu Campa in Altiani ( Jean -Yves Courtois).

Il existe bien sur le territoire d'Altiani et de Focicchia 420 arpents 12 verges de bonne terre qui correspondent certainement aux berges du Tavignani et à la basse vallée du Limone. Mais en définitive il faut conclure à une  médiocrité généralisée.

Cette médiocrité du sol explique que malgré une densité de population somme toute faible, la terre subisse une forte emprise dès l'époque du plan Terrier, comme en témoignent et la prépondérance marquée de la propriété privée ( + de 98 % pour les trois villages) et l'extension des cultures.

 

                  ALTIANI & FOCICCHIA possèdent : 3315 arpents et 5 verges de terrains cultivés, soit 55,36 %

                                                                  1447 arpents et 82 verges de terrains cultivables mais incultes, soit 24,18 %

                                                                  1068 arpents et 27 verges de terrains incultes pour la pâture, soit 17,83 %

                                                                    157 arpents et 19 verges de terrains incultivables, soit 2,63 %

                                                        TOTAL: 5988 arpents et 33 verges.

 

Note: 1 arpent = 50 ares environ.

          1 verge = 1/4 d'are.

 

 

On voit que presque 80% ( 79,54 exactement) des terres disponibles sont considérées comme cultivables, ce qui témoigne déjà du sérieux de la situation économique de l'intérieur des terres qui va d'ailleurs aller s'aggravant avec le XIXème siècle et obliger les hommes de plus en plus nombreux à s'adapter à ce relief ingrat, à s'accrocher à la moindre parcelle aménagée, souvent au prix d'efforts inhumains. C'est de cette époque ( fin XVIIIème-XIXème) que datent majoritairement les terrasses qui ornent aujourd'hui encore nos collines et nos montagnes de cette véritable dentelle de pierre et ce à des altitudes dépassant 800 et 900 m.

Les murs de soutènement souvent plus importants en superficie que les parcelles cultivables qu'ils supportent, représentent un capital-travail difficile à estimer mais qui témoigne avec force de cette demande toujours accrue de nouveaux espaces.

A la fin du XVIII ème siècle, sur les 4762  arpents 87 verges considérés comme cultivables, 3315 arpents 5 verges sont déjà exploités, ce qui représente 70% des potentialités locales.

Dès cette époque, le point d'équilibre est presque atteint malgré tous les efforts consentis dans la 2ème moitié du XVIII ème siècle pour diversifier les cultures et s'adapter au mieux à un espace qui se retrécit face à la nouvelle pression démographique.

Le plan Terrier nous donne le détail des cultures à la fin de ce siècle.

                   

                  ALTIANI & FOCICCHIA possèdent:    44 arpents 36 verges d' oliviers

                                                                     84 arpents 59 verges de vigne

                                                                   407 arpents 12 verges de bois et chataigniers

                                                                   2778 arpents 98 verges de plantes annuelles, soit 83,83%

                                                  TOTAL: 3315 arpents et 5 verges.

Par plantes annuelles, on désigne bien sùr les céréales. La céréaliculture, ici, comme dans toute la Corse, à cause de l'archaïsme des techniques, du manque de fumure et de la médiocrité des sols, exigeait de vastes espaces et, presue partout dans l'île, occupait au moins la moitié des terres exploitables. Cette proportion grimpe ici à 83,83%, ce qui est énorme  et tend à la monoculture, mais cette première lecture, nous le verrons, devra être affinée.

Précisons aussi, car cela est intéressant quant à l'étude de l'organisation de l'espace, que l'on pratiquait ici l'assolement triennal. Un assolement triennal minoritaire, il est vrai, et limité aux terres les plus fertiles des vallées. Partout ailleurs prédominait la culture extensive sur brûlis. Ainsi l'enquête de l'an XII ( 1813-1814) révèle que les terres étaient laissées en friche quatre années sur cinq.

A l'époque moderne, les territoires d'Altiani et de Focicchia étaient divisés en trois "prese" (soles).

note: Anciennement portion du terrain communal réservée par roulement aux habitants pour les emblavures ( parties ensemencées), avec affectation par l'autorité municipale.

Pour Focicchia, on distinguait la presa de Fraldacciu ou Ferlace, la presa de Ristalu, la presa de Corsu.

Pour Altiani, la presa de Guarare, la presa de Lamella, la presa de Caspresi.

Ces prese étaient délimitées par des murs de pierres sèches, par des accidents de terrains, crêtes, ruisseaux, ...etc, renforcés de clôtures d'épineux que l'on entretenait régulièrement.

A l'intérieur de ces prese, les emblavures prédominaient. Elles voisinaient dans les parties basses avec les oliviers, à mi-pente avev les arbres fruitiers, les jardins et les chataigniers qui devenaient l'activité principale des terres les plus hautes.

Mais si les actes notariés du milieu du XVIII ème siècle attestent de la présence du châtaignier comme valeur marchande, ces arbres n'interviennent dans les transactions que de façon minoritaire, l'essentiel de l'effort portant sur les terres à blé et sur les terres en friche ( machie).

La décision de planter en masse des châtaigniers a pour conséquence de rejeter les troupeaux sur des franges de territoire et fixe les nouveaus rapports de force entre agriculteurs et bergers à une époque particulièrement cruciale pour ces derniers.


 

SITUATION DE L'ELEVAGE EN 1769


                          Chevaux     Mulets     Anes     Boeufs     Vaches     Moutons     Chèvres

  ALTIANI             31            21           31         101          67           210              97

 

Soit un ensemble de 558 bêtes

 

 L'extension générale des emblavures, jointe au développement de la châtaigneraie et à la réglementation de la vaine pâture en 1825, porte un coup fatal aux bergers, même si ceci est  plus particulièrement vrai pour Focicchia. Cette mutation ne se fait pas sans mal et les relations entre agriculteurs et éleveurs va se dégrader.

 

SITUATION DE L'ELEVAGE EN 1829

 

                        Chevaux-Mulets-Anes       Boeufs-Vaches      Moutons       Chèvres

ALTIANI                     23                                100                   400              300

 

Soit un ensemble de 823 bêtes

 

Il ressort de ces chiffres que, si Erbaghjolu et Focicchia souffrent de cette nouvelle situation, Altiani s'en sort à son avantage, car il est et demeure voué à la céréaliculture et, à un moindre degré à l'oléiculture. Le village compte à cette époque cinquante paires de boeufs, c'est à dire autant q'au milieu du XVIII ème siècle. Par contre Erbaghjolu et Focicchia en ont perdu plus de la moitié à la même époque. Alors que les châtaigniers sont "insuffisants" à Erbaghjolu, qu'ils monopolisent un tiers du territoire de Focicchia, ils sont dits " dispersés" et "peu nombreux" à Altiani.

Alors que, pour les deux premiers, la récolte suffit à peine à la consommation locale et que les excédents commercialisables sont rares, seul Altiani avoue une certaine exportation de céréales en direction du marché de Corti, mais seulement dans les bonnes années", précise-t-on.

Dans le même temps, la cohabitation entre agriculteurs et bergers se durcit et, à la question de savoir quelles est la solution de ce problème, les responsables municipaux des trois villages répondent avec un bel ensemble qu' " il faut interdire les chèvres sur l'étendue du territoire."

Ce n'est pas là une réponse originale loin s'en faut. La micro-région s'aligne en fait sur le sentiment général prévalant alors dans l'île et qui est soutenu dans cette prmière moitié du XIX ème siècle par l'action de l'Etat qui encourage le développement de l'agriculture et de son corollaire, la propriété privée et ce, aux dépens de la propriété communale, et de l'élevage.

Ce problème séculaire, qui interpelle l'ensemble de l'île et qui prend une acuité nouvelle à cette époque, se trouve exacerbé ici par le manque d'espace qui explique aussi l'acharnement avec lequel les communautés d'Altiani et de Focicchia se disputeront la jouissance et la possession du bois de Gaggio ou de Cereo ( voir à ce sujet la page de ce site sur le procès les opposant).

Dans une région où l'accaparation privée a très tôt rogné la propriété communale, ce bois de chênes verts devient rapidement d'une importance vitale non seulement pour les bergers, mais aussi pour l'ensemble de la communauté qui en tire glandée et bois de chauffage.

La volonté de contrôler ce bois de quelque 50 hectares qui couronne le flanc des crêtes dominant Focicchia et que les deux communautés se disputent depuis au moins le XVII ème siècle, explique, sans doute aussi en partie, le repli définitif, à la fin du XVI ème siècle,de ces deux villages sur les sites actuels plus proches de ces biens tant convoités.

C'est cette contestation permanente qui amène les ingénieurs du plan Terrier, soucieux de ne pas provoquer de remous, à proposer une description commune des territoires de ces deux communautés.

Ce n'est finalement qu'en 1858, après deux siècles de procédure, que le problème sera définitivement réglé et ce au profit de Focicchia qui, précisons le, en avait bien besoin.

En effet, depuis 1846, tout indique que le point de rupture est désormais atteint pour un terroir aussi ingrat que celui de notre micro-région. Notre territoire si bien contrôlé est maintenant saturé et il ne pourra plus subvenir aux nouveaux besoins d'une population qui continie d'augmenter et qui devra donc s'adapter.

 

Une série de données nous permet de préciser cette adaptation car l'étude de cette population, à des dates particulièrement importantes de son évolution, est riche d'enseignements.

Les quatre pyramides des âges de l'ensemble de la population des trois villages en 1769, 1846, 1906 et 1926, laissent apparaître les mutations principales très révélatrices de l'évolution générale.

La pyramide des àages des trois villages en 1769 est représentative d'une population d'ancien régime, engagée dans une phase de croissance.

 

 

La base est encore étroite mais des âges intermédiaires bien fournis, où les célibataires définitifs sont très peu nombreux, annoncent le boom démographique des décennies à venir, qu'un espace encore en partie inexploité va favoriser.

 

Celle de 1846 révèle une population en pleine vitalité, avec une base très large, indice d'une forte natalité dont témoigne également une partie médiane

 

toujours bien étoffée tandis que le sommet de la pyramide s'affine plus régulièrement et dévoile une amélioration sensible de l'espérance de vie.

Mais cette vision optimiste doit être nuancée. En effet, si la famille moyenne est toujours relativement importante et si la famille nucléaire demeure le mode majoritaire, les familles complexes sont en augmentation sensible et laissent déjà deviner le malaise qui, au terme du XIX ème siècle, conduira à la population vieillissante et menacée de 1906.

 

 

Dans la seconde partie de XIX ème siècle, face à un terroir qui se ferme et à une situation économique qui va se dégradant, cette population va s'engager en effet dans un processus malthusien spécifique qui, dans un premier temps, va freiner le développement naturel et, à terme, va compromettre l'avenir.

Le refus de la vie s'exprime ici, non seulement par la chute du nombre de jeunes de moins de 20 ans dont le pourcentage tombe de 45,5% en 1769 et 45,3% en 1846 à 30,8% en 1906, mais aussi par l'augmentation très conséquente des célibataires âgés de 20 à 45 ans.

Face à un patrimoine qui maintenant ne pourra plus être partagé sans risques, on s'oriente désormais vers une famille complexe qui réunit sous le même toit des parents de plus en plus âgés, détenteurs du patrimoine, un jeune couple ayant, semble-t-il, moins d'enfants et les frères et soeurs du marié qui semblent condamnés au célibat et bientôt à l'émigration.

Beaucoup de ces hommes jeunes vont augmenter le nombre des salariés agricoles, louer leurs services aux propriétaires locaux. Ils retrouveront également, au moment des moissons, le chemin de la piaghja d'Aleria et des grandes exploitations céréalières de la plaine orientale et ce jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Mais,dès le début du siècle, cette population qui sera douloureusement frappée par la Grande Guerre, va s'engager dans un processus d'exode massif en direction du continent et de l'Empire.

 

En 1926, les jeunes de moins de 20 ans ne représenteront plus que 28% de la population, c'est à dire tout juste autant que les gens de 55 ans et plus (27,4%). Pendant ce temps, les âges intermédiaires susceptibles d'assurer la relève sont particulièrement visés par l'exode et se réduisent sensiblement.

La situation est d'autant plus grave que l'âge du mariage de la femme augmente tandis que se confirmr la pratique du célibat définitif qui, il est vrai, frappe surtout les hommes. La pyramide de 1926 illustre bien le malaise de cette population vieillissante engagée dans une politique malthusienne dontune émigration continue aggrave les effets et elle annonce en filigrane le désastre démographique actuel.

 


 

 

Cette émigration qui va s'accélérer dans la décennie suivante continuera à drainer cette jeunesse vers l'Armée et l'Empire, mais aussi et de plus en plus fréquemment, vers le port de Marseille et l'arsenal de Toulon.

Là, les colonies de Corses, qui occupent depuis longtemps de fortes positions au Panier, à la Joliette, sur le vieux port tout comme à Saint-Jean-du-Var et à Saint-Roch, vont favoriser l'installation de nouveaux émigrés dans ces quartiers où, pour la plupart, ils feront souche.

C'est sur ces nouveaux sites qu'il faudra étudier, demain, le devenir de ces populations nées dans les basses vallées des affluents du Tavignani.

 

 LAURENT SERPENTINI dans " Trois villages du Cortenais".


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