ALTIANI DURANT LE CONFLIT ENTRE GENES ET ARAGON ( 1296-1401 ).

 

 

CONTEXTE HISTORIQUE DE L' EPOQUE:

 

     C'est durant ce conflit qui s'étend tout au long du XIV ème siècle, et qui s'inscrit dans le cadre international de la lutte entre les Guelfes et les Gibelins, qu' à partir de 1358, la Corse devient l'un des enjeux de l'opposition entre d'une part les partisans de Gênes, parmi lesquels Sambucucciu d'Alandu (1) et Tridano della Tore, gouverneur de la Sérénissime dans l'île, les Capipopuli di u Cumunu qui la représentent et, d'autre part, les partisans du roi d'Aragon, Pierre IV, soutenu par les Seigneurs du Sud, parmi lesquels,à partir de 1376, essentiellement Arrigu della Rocca (2), jusqu'alors réfugié dans la péninsule ibérique.

 

     (1) Sambucucciu d' Alandu: dès 1358, il se met à la tête des populations de Corse en révolte contre les Seigneurs. Il signe un accord avec le doge de Gênes, Simone Boccanegra, afin d'avoir sa protection, moyennant un impôt de 20 sous par famille. A partir de 1366, Sambucucciu fait partie des six conseillers qui assistent le gouverneur génois e l'île.

 

 

( Pour en savoir davantage sur Sambucucciu, voir plus loin une courte biographie de sa personne et une étude sur sa personnalité.)

 

     (2) Arrigu della Rocca: seigneur du Sud, descendant direct de Ghjudice della Rocca et fils de Guglielmu qui fut déjà "lieutenant" du roi d'Aragon en Corse, il se rend rapidement maître de presque toute l'île. Il sera emporté par la maladie en 1401, année de "grande mortalité ", selon Ghjuvanni della Grossa.

 

     Au cours de cette période troublée, va particulièrement se distinguer une famille issue d'Altiani, les Caggionacci, qui, bien que plébeiens à l'origine, vont se rallier à la noblesse.

 

Voici 7 documents qui rapportent le rôle important joué par cette famille:

 

 

 

 

              DOCUMENT 6 :

 


Etudes corses 8

 

     DOCUMENT 7:

                         

Giovanni della Grossa (1388-1464), CRONICHE.

 

Et ils prirent Sambucucciu pour chef.

" Après la mort du gouverneur Tridano, la nouvelle courut à travers toute la Corse et, subitement, les Seigneurs de l'île commençaient à vouloir retrouver leurs seigneuries. Et à la population de Corse de les en empêcher. Dans la région de Marana et dans le domaine qui avait été celui des Cortinchi, ils s'unirent et firent tomber les seigneurs qui n'avaient pas pu récupérer leurs seigneuries. Et ils prirent Sambucucciu d'Alandu pour chef, ainsi que Francescu d'Evisa. Ils passèrent les monts, en allant en direction du midi. Dans la piève de Vico et pour le reste de la Cinarca, ils bénéficièrent du concours d'autres populations. Ils soumirent les seigneurs de la Cinarca qui étaient revenus dans leur seigneurie, ainsi que d'autres seigneurs d'autres seigneuries. Ce faisant, de l'autre côté, ils allèrent à Gênes pour demander un gouverneur. En entendant que le gouverneur Tridano était mort, puis la requête des populations de Corse, et sachant que celles-ci combattaient les seigneurs pour qu'ils ne puissent récupérer leurs anciennes terres, considérant que la persévérance de la population de Corse méritait la générosité et l'affection de la seigneurie de Gênes, le Doge et son conseil décidèrent d'envoyer un gouverneur. Et ils envoyèrent Giovanni di Magnera, lequel vint en Corse et commença à vouloir faire justice et à donner des ordres conformes à son office. Les Cascionacci, cruels occiseurs de Tridano, redoutant le châtiment qui leur était dû, avaient formé un escadron. Le gouverneur ne pouvait pas reprendre la Corse, même si la population le soutenait, et qu'il tenait le camp face aux Cascionacci et aux Rusticacci, qui avançaient avec des escadrons tellement importants qu'à la fin la population supplia Gênes: tant que le parti des Cascionacci estimait que le gouverneur Giovanni était partial, on ne pouvait faire autrement que d'envoyer un autre gouverneur afin de remédier à la discorde corse."

 

 

Résumons en quelques lignes ce que nous apprennent ces divers documents:

 

      A partir de 1365, deux factions politiquement opposées se formèrent, se dressèrent violemment l'une contre l'autre et précipitèrent l'ensemble de l'île dans l'anarchie la plus complète.

                       - La première, dirigée par les Caggionacci ( issus d'Altiani), avait pris le parti du roi d'Aragon qui, soutenu par de nombreux seigneurs du Sud, avait des vues de souveraineté sur la Corse.

                       - La seconde, composée des Ristagnacci ( issus de Casta) et de leurs partisans, avait choisi d'apporter leur soutien à Gênes.

      Toutes deux en vinrent rapidement à des luttes sanglantes. A Venzolasca, lors d'une rencontre organisée par Gênes pour mettre un terme à ce conflit, un Caggionacci assassina d'un coup de poignard le gouverneur génois Tridano della Torre. Cet acte entraîna la Corse entière dans une terrible guerre civile.

      Arrigu della Rocca, seigneur du Sud, exilé en Aragon, rentra sur l'île pour reprendre la conquête de la Corse au nom du roi d'Aragon. Il prit parti pour les Caggionacci et s'empara, avec leur aide, de la Cinarca, puis de Biguglia, Nonza et Brandu avant de se rendre maître de l' ensemble de l' ïle. Ses partisans le proclamèrent alors " Conte del Regno di Corsica".

      Il institua une administration régulière et donna à la Corse une période de repos et une paix qui se prolongea durant quatre ans .

      Les Caggionacci, et à travers eux, Altiani, jouèrent donc un rôle prépondérant dans cet épisode de l'Histoire de la Corse.

 

Courte biographie de Sambucucciu:

 

 

Etude sur la personnalité et l'action de Sambucucciu:

 

   Mais qui fut vraiment Sambucucciu d’Alandu ? Un révolutionnaire, un chef de bande, un jaloux ambitieux ou encore un traître ?

 

   La réputation flatteuse attachée à cet homme proclamé " précurseur d’une forme de socialisme rural " en réponse à la toute puissance des " maîtres-seigneurs " de son temps ne date que des récentes années 70 à l’époque de " Main basse sur une île ". Ceux de la "reconquête" ("u riacquistu") ne retinrent alors des annales de l’histoire corse que les seules figures de Paoli, Sampieru et … Sambucucciu, cet individu hardi et preux parti braver les potentats locaux dont il triompha en 1358 et probable inspirateur de cette ‘Terre du Commun’ devenue emblématique d’un système d’organisation et de répartition juste et équitable vu comme un âge d’or de la Corse.

Cette perception idéale fut reprise par la suite dans les livres "Vert" puis "Blanc" du Front, dans l’ouvrage "Autonomia" de l’ARC. Cette surexposition de Sambucucciu comme héros de la nation corse reflète le climat idéologique de ces années post-soixante-huitardes marquées par la décolonisation et l’utopie communiste. L’heure de ces premiers temps du nationalisme moderne était aux idées révolutionnaires, au socialisme s’érigeant contre la tyrannie capitaliste et contre les possédants. Et quelle plus opportune et prestigieuse figure que celle de ce Sambucucciu, pur produit de notre histoire corse qui aurait fait plier les petits seigneurs locaux pour instaurer un société "du Commun". Nous le tenions notre héros "socialiste" de la première heure ! Et cette fable magnifique a séduit jusqu’aux autonomistes les plus modérés pour lesquels Sambucucciu personnifiait soudain cet homme vaillant en lutte contre feus les ancêtres des chefs clanistes de l’époque moderne ! D’ailleurs dans sa trilogie " Sambucucciu, Paoli et Sampieru " datant de 1975, le groupe Canta u Populu corsu le magnifie à son tour dans sa fameuse chanson " Simu Sbanditi ".

Cette belle promotion idéologique vient d’être récemment remise en cause par les explications de A.M. Graziani lequel précise que la formulation "La Terre du Commun " n’aurait jamais existé et serait née d’une confusion avec la formule italienne " la Terra del Comune " en référence à la Commune de Gênes sous la protection de laquelle les partisans de la rébellion conduite par Sambucucciu finiront par se placer.

Dès lors, il me semble que la figure de Sambucucciu n’interroge pas seulement l’histoire et sa narration, mais qu’elle questionne également les processus d’édification d’une idéologie.

L’histoire de Sambucucciu, chef de famille et autorité majeure de son village d’Alandu, prenant la tête, en 1357, dans la région dite "de l’en-deçà des Monts "( U Cismonte), d’un mouvement de sédition mené par Francescu d’Evisa, contre le joug des petits seigneurs locaux, nous est relatée dans les chroniques de Giovanni della Grossa. Cette jacquerie volontaire et hardie qui se solda par la mise à sac des biens et la destruction des châteaux de ces féodaux tout-puissants constitue un événement capital de l’histoire insulaire.

Succédant de peu à l’hérésie des Giovannali, ce soulèvement social historique, dont attestent les séquelles consécutives aux destructions de 1358 constatées sur de nombreux châteaux de l’époque est contemporain de semblables mouvements en Italie continentale où le peuple s’empara des rênes du pouvoir de plusieurs villes. La question sociale étant primordiale en ces temps troublés, la décision de Sambucucciu, confronté au retour offensif des seigneuries dans le Pumonte – l’au-delà des Monts – d’en appeler à la République de Gênes pour solliciter son aide fit l’effet d’une bombe politique. Du nom de " deditio " de 1358 [ndlr : du nom latin de "deditio in fidem" qui consistait en principe du temps des romains en la remise solennelle par la partie vaincue ou mise en situation d'infériorité de la totalité de ses personnes, de ses biens et de ses dieux à la discrétion du peuple romain ] le pacte ainsi scellé mit l’En-deçà des Monts sous protection génoise. Par la suite, Gênes manda un gouverneur pour l’ensemble de la Corse alors qu’auparavant son pouvoir ne s’étendait que sur les seules citadelles de Calvi et de Bonifacio. Ce traité de 1358 conclu avec le consentement du peuple totalement acquis à cette perte de souveraineté donna sa légitimité à la présence génoise dans l’ensemble de l’île. C’est pour cette raison que ni Sampieru, ni Paoli, ni Gaffori, n’ont jamais évoqué le souvenir de Sambucucciu qui fut tout sauf un exemple à suivre !

 

     Sambucucciu, un traître ?

 

Ni plus ni moins renégat que tous les seigneurs de la Cinarca et d’autres avant et après eux qui tout au long de l’histoire insulaire s’adressèrent à des puissances étrangères pour régler des dissensions internes et parfois même des différends familiaux. Malheureusement pour Sambucucciu, son option eut des conséquences bien plus fâcheuses que d’autres pour l’ensemble de l’île.

 

     Un révolutionnaire ?

 

Dans un contexte médiéval, ce terme me paraît inopportun et déplacé. Le système de gouvernement instauré après Sambucucciu basé sur la "vox populi"("à populu è cumunu") donna naissance à la caste des caporaux ("i capurali") laquelle une fois établie finit peu à peu par se substituer aux anciennes seigneuries de l’île à la nuance près de leur allégeance officielle à l’autorité génoise. Par la suite, à l’image de l’antique système féodal, ces caporaux eurent leurs propres vassaux eux-mêmes amis des chefs de la Cinarca ou même parents de ceux-ci par des liens matrimoniaux de consolidation.

Anciens chef de bandes, caciques de village ou encore anciens vassaux de seigneurs, les caporaux furent élus par la communauté pour les représenter auprès de l’autorité génoise. Dès 1511, après la défaite et la fuite des seigneurs, ils se substituèrent aux anciens notables de l’Au-delà des Monts. Le mode électif ne date pas de l’avènement de la ‘Tarra di u cumunu’. En effet l’élection des "Comtes de Corse", premiers seigneurs de l’Ile , s’opérait déjà par le biais d’assemblées ou "vidute" convoquant des milliers d’âmes qui procédaient ainsi au plébiscite de ce chef suprême de la Corse. Ce même mode de scrutin qui s’appliquait également lors de la nomination des chefs de seigneuries permit ainsi à Ghjudicci di Cinarca d’accéder au rang de seigneur d’un territoire s’étendant de Celaccia à Bonifacio avant d’être à son tour élu Comte de Corse en 1264.

Quant au sentiment national, seuls les seigneurs de la Cinarca peuvent se vanter d’en avoir eu la fibre. Vincintellu d’Istria, Arrigu di a Rocca, Raffè et surtout Ghjuvan Paulu di Leca, ce sont eux les seuls vrais héros de la Nation qui se sont battus pour sa souveraineté. Et si Paoli, Gaffori et Sampiero se sont recommandés de ceux-ci dans leur lutte de libération nationale, jamais ils ne se recommandèrent de Sambucucciu d’Alandu.

L’assertion selon laquelle le groupe des seigneurs de la Cinarca aurait formé une élite coupée du peuple corse découle de l’analyse erronée d’une réalité bien plus complexe. Preuve en est cette ‘solution finale’ échafaudée au début du 16e siècle par Gênes qui devait régler définitivement le problème corse tout en provoquant la chute et le démantèlement des seigneuries de Ghjuvan Paulu di Leca et Rinucciu di a Rocca par le biais de la Banque de Saint Georges qui fit purement et simplement chasser de leurs terres ceux des paroisses ou pieve restées fidèles à ces seigneurs. Les régions montagneuses et loyales du Niolu, de l’Altu Taravu et de l’Alta Rocca furent les premières à pâtir de cette ‘épuration ethnique’. Les notables et le peuple ne constituaient donc pas deux groupes séparés mais bel et bien une nation formée de toutes ses composantes en lutte pour la conquête de sa souveraineté.

Par conséquent, à mes yeux Sambucucciu n’a pas plus trahi la patrie que tous ces chefs féodaux qui firent appel à Gênes pour régler leurs guerres intestines sonnant ainsi le glas d’un monde, celui de la Cinarca, au profit d’une ère nouvelle sous la domination triomphante de la République ligurienne. Bien plus que des vicissitudes sociales de son époque, Sambucucciu est emblématique d’une société claniste que ses comportements dynastiques répétés de génération en génération conduisit à aliéner sa légitimité politique à des puissances étrangères.

Sambucucciu ne fut que la face mystifiée d’un changement sociétal abusivement comparé aux mouvements sociaux contemporains italiens, mais aussi un leurre abusivement agité par les nationalistes des années 70 dans leur quête frénétique d’un ‘pré-socialisme’ qui n’eut d’original que son nom.

 

Texte de Diunisu Luciani.

Traduction de Carole Bertrand.

 

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